Peu de temps après que l’Autorité palestinienne a placé les villes et villages de la Cisjordanie occupée sous confinement fin mars pour lutter contre le COVID 19, Amer Abu Hijleh a reçu un appel d’un ami agriculteur lui disant que des colons israéliens travaillaient sa terre.
Abu Hijleh, 56 ans, a immédiatement quitté son domicile dans le village de Deir Istiya et s’est dirigé vers ses terres, situées dans la zone C de Cisjordanie, à côté de la colonie israélienne de Yakir. À son arrivée, Abu Hijleh a découvert que les colons avaient commencé à creuser un trou dans le sol après avoir déraciné des arbustes.
Quelques minutes plus tard, les forces israéliennes et les gardes de sécurité des colonies sont arrivés sur les lieux et ont demandé à Abu Hijleh et à quelques militants israéliens venus le soutenir d’évacuer la zone. « Quand j’ai dit [aux forces de sécurité] que des colons travaillaient dans mes terres, ils ne les ont pas arrêtés et m’ont plutôt demandé d’apporter mes documents [de propriété foncière] et de contacter l’administration civile israélienne », a déclaré Abu Hijleh, se référant au département du ministère israélien de la Défense qui gère l’occupation en Cisjordanie.
Deux semaines plus tard, après avoir rassemblé tous les documents nécessaires montrant qu’il avait hérité ce bien de son père, Abu Hijleh est retourné sur sa terre et a constaté que les colons avaient transformé le trou dans le sol en piscine. « Pourquoi es-tu en colère ? Ce n’est qu’une piscine pour nos enfants », aurait déclaré un colon israélien à Abu Hijleh avant l’arrivée des représentants de l’administration civile qui ont demandé aux Palestiniens et aux colons présents d’évacuer les lieux « jusqu’à ce que le problème soit résolu légalement ».
« Je ne pouvais pas faire confiance à l’Administration civile israélienne et je suis retourné inspecter le terrain 10 jours plus tard », a déclaré Abu Hijleh. « J’ai trouvé une piscine finie avec des chaises. Tout leur travail était terminé. »
Abu Hijleh a ensuite pris contact avec l’organisation israélienne des droits de l’homme « Yesh Din », afin de commencer à monter un dossier juridique. Pendant ce temps, il prévoyait de continuer à cultiver sa terre en plantant des oliviers. Mais à son arrivée, l’armée israélienne lui a refusé l’accès à la zone, a-t-il dit.
Début juillet, +972 Magazine a visité les lieux aux côtés d’Abu Hijleh et de son fils. La zone près de la piscine était jonchée de sacs de ciment, de restes d’un feu de camp et de tuyaux. À quelques mètres de là, d’autres sacs de ciment ont été entreposés derrière la barrière de sécurité de la colonie, ce qu’Abu Hijleh considère comme une preuve de la participation du conseil local israélien à la construction de la piscine. Avec la croissance de Yakir vers l’est, il craint que cela ne soit le début d’un processus d’expansion de la colonie qui lui coûtera ses terres.
Fadia Qawasmi, un avocat et enquêteur de Yesh Din, a confirmé que l’organisation avait demandé à l’administration civile de retirer la piscine après avoir examiné tous les documents d’Abu Hijleh.
Les colonies se développent alors que les Palestiniens ne peuvent pas construire
En 1981, les autorités israéliennes ont confisqué environ 700 dunams de terres palestiniennes pour construire la colonie de Yakir. Le plan comprenait le lot de 82 dunam qui appartenait au père d’Abu Hijleh, mais heureusement, la famille a réussi à conserver ses terres. « Les [personnes] affectées sont propriétaires de leurs terres et les ont héritées de leurs grands-parents. La raison de la confiscation est d’étendre Yakir », lit-on dans un encadré publié en 1982 dans le journal Al Quds, qu’Abu Hijleh conserve toujours.
Depuis les années 80 - à la suite de la décision de la Haute Cour israélienne dans l’affaire Elon Moreh, qui interdisait la construction de colonies civiles sur des terres privées palestiniennes - les autorités israéliennes ont permis l’expansion des colonies en réquisitionnant des terres palestiniennes et en les déclarant « terres domaniales ». Bien que les Palestiniens représentent environ 86% de la population de Cisjordanie, au cours des quatre dernières décennies, l’Administration civile a attribué moins de 1% des terres domaniales de Cisjordanie aux Palestiniens, selon les données obtenues par l’Observatoire de la colonisation de la Paix Maintenant.
Le terrain situé à côté du terrain d’Abu Hijleh comprend des zones qui ont été expropriées et transformées en zone de tir militaire. « Mon voisin a perdu une partie de ses terres parce que [les Palestiniens] ne peuvent légalement s’opposer à l’expropriation à des fins militaires », a-t-il dit. Abu Hijleh a indiqué qu’il y avait une installation d’eau israélienne sur son terrain qui fournit à Yakir des eaux souterraines palestiniennes. « Je ne pourrais pas m’y opposer également parce que les expropriations pour les services publics sont autorisées. »
Le terrain d’Abu Hijleh, qui sera probablement inclus dans le plan d’annexion de Netanyahu, est situé juste à l’extérieur de la réserve naturelle de Wadi Qana, une zone à majorité palestinienne entourée de cinq colonies, dont Yakir. Les résidents affirment que les avant-postes des colonies s’étendent sur les collines surplombant la vallée, tandis que les Palestiniens ne sont pas autorisés à construire sur leurs terres.
Dans la zone C, qui est entièrement sous contrôle administratif et sécuritaire israélien, l’obtention d’un permis de construire est presque impossible. Dans le même temps, les colonies israéliennes continuent de croître à travers la Cisjordanie. Selon les Nations Unies, les autorités israéliennes ont démoli 320 structures palestiniennes en Cisjordanie, y compris Jérusalem-Est, depuis le début de 2020, touchant 1 578 personnes.
« J’attends de voir ce qui se passera en juillet concernant le plan d’annexion de Netanyahu », a déclaré Abu Hijleh, ajoutant qu’il craignait qu’Israël applique la loi sur la propriété des absents - adoptée en 1950 pour légaliser la prise de contrôle des terres palestiniennes laissées par les réfugiés pendant la Nakba - en Cisjordanie. La loi est toujours utilisée à Jérusalem-Est, qu’Israël a annexée en 1967, pour déposséder les Palestiniens de la ville, bien qu’il ne soit pas encore clair si elle sera également utilisée en Cisjordanie.
Selon Yesh Din, dans le meilleur des cas, Israël démolira le bassin des colons. Après cela, Abu Hijleh pourra toujours visiter sa terre mais ne pourra pas la construire - contrairement aux colons.
Le magazine +972 a contacté le coordinateur des activités gouvernementales dans les territoires (COGAT), une unité du ministère israélien de la Défense qui supervise l’occupation en Cisjordanie, qui a déclaré que l’affaire était « connue de l’administration civile. L’application dans la zone se fera conformément aux autorités et procédures et sera soumise à des priorités et à des considérations opérationnelles. »
Traduit de l’anglais original par l’AFPS